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Louis Aragon, les passages de l'Opéra et la Morphologie Urbaine





Quand j'ai fait mes études d'Architecte, en 50 avant Jésus Christ, (à Paris, la capitaaale, quoi!), les enseignants avaient deux marottes : Paris, justement, et la morphologie urbaine. Pour faire simple, c’est scruter les traces de la mémoire de la ville à travers de vieux plans parcellaires tout moisis, pour voir comment elle s’est constituée et pour perpétuer sa mémôôôare. Bref, des trucs dont on se contrefout aujourd'hui, quand on rase des quartiers 20 ans après leur construction (voir article : la cité des poétes), ou que l'on balaie des territoires entiers pour refaire du neuf à la place ( la Presqu'ile à Lyon , les Halles à Paris , l'Ilot de la Samaritaine rue de Rivoli...) .


La morpho, comme on l'appelle affectueusement peut se résumer à l'étude de la sédimentation de la ville, une discipline qui intéresse sûrement quelques érudits intellos, mais pas les promoteurs...

Quel rapport avec l'Opéra ou Aragon? : les passages de l'Opéra. Dans son ouvrage « Le Paysan de Paris », Aragon décrit les dernières années de ces passages couverts démolis en 1925 pour permettre l'ouverture du Boulevard Haussmann.

Ce passage est emblématique (je connais des gens obsédés par ce livre et ses fantômes), et ses traces, enjolivées par la présence du mouvement Dada dans les années 20, sont le symbole d'une histoire urbaine moderne (moins de 200 ans)






Tout commence par l'assassinat de Charles-Ferdinand d'Artois à la sortie de l'Opéra rue de Richelieu, ou salle Montansier (l'ancêtre du palais Garnier), à deux ou tois cent mètres des futurs passages de l’Opéra . Je ne suis pas fort en royalités, alors je vous renvoie à sa page Facebook Wiki -https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Ferdinand_d'Artois-. Apparemment, c'était rudement grave. Les gens étant à l'époque superstitieux, Louis XVIII, pas content, fait raser le bâtiment (en même temps, il règle des comptes personnels avec les révolutionnaire et Napoléon, je vous laisse fouiller sur le sujet). Il est décidé, on va dire pour conjurer le sort, de déplacer la salle et d'en construire une provisoire sur les jardins d'un Hotel particulier voisin, l'Hotel de Choiseul.b

C'est l'Opéra Le pelletier

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Je vous laisse au passage apprécier la taille du jardin....Je pense que le Duc, Etienne-François de son petit nom, pouvait se faire des barbecues d'enfer avec ses amis à deux pas du RER. 

Manque de pot, révolution, tiers provisionnel… : il se trouve avec un besoin pressant de cash. Il lotit ledit jardin pour le vendre en parcelles plus petites, sur lesquelles seront construite l’Opéra Le Pelletier (rue Le Pelletier, justement).


Pour résumer, c'est une salle moderne, avec toilettes, bar, wifi, construite en partie avec les matériaux récupérés de la salle Richelieu démolie (les colonnes, par exemple).



Un des anciens voisins du Duc, malin comme un singe, le conte Charles-Gilbert Morel de Vindé (ça ne s'invente pas), possédant un jardin pas dégeu non plus, décide d 'aller faire ses barbecues plus loin et lotit la parcelle entre le nouvel opéra et le boulevard des Italiens (ancienne enceinte des fossés jaunes de Louis XIII, transformée en périph’ – vous ne comprenez plus rien ? Pas d'inquiétude, c'est normal, je fais des plans de synthèse à la fin de l'article-). Il fait construire les passages de l'Opéra, deux galeries parallèles (Horloge et Thermomètre), qui rejoignent une galerie latérale à l'opéra et perpendiculaire aux deux premières, la galerie du Baromètre.

 



Le galerie latérale à l'Opéra Pelletier, la galerie du Baromètre.



Ce type de passage est très prisé à l'époque. Les grands travaux Haussmaniens n'ont pas encore commencés, et une grande partie des rues de Paris sont encore dans un état douteux : sales, non pavées...Les passages couverts permettent de se déplacer et de faire du lèche vitrine (de luxe) au propre et au sec, entre gens de bonne compagnie. Il en subsiste un bon nombre dans le quartier : passage Choiseul, passage des Panoramas, passage Jouffroy....



Donc plop, en 1825, création des passages de l'Opéra. Ces passages vivent leur histoire (je vous laisse aller fouiller sur internet pour avoir les détails de la vie dans ce passage) paisiblement jusqu'en 1873, date à laquelle l'Opéra Pelletier est intégralement détruit par un incendie (c'était un bâtiment provisoire tout en bois, même s'il a duré 50 ans)

 

Quand on parle de barbecue...


L'opéra Garnier ouvrant deux ans plus tard (le vrai d’aujourd’hui, celui des tourist’), et le bâtiment étant irrécupérable, on rase tout et on lotit, 50 ans après le précédent découpage des Jardins de l'Hôtel de Choiseul.

On supprime la galerie du Baromètre, on continue la Rue Chauchat jusqu'à l'Ilôt des passages de l'Opéra.

Commence une lente descente au purgatoire, les passages n'ayant plus leur fonction de raccourci entre le boulevards des Italiens et la salle de l'Opéra Le Pelletier.

Ces passages, qui étaient aussi une annexe du foyer de l'Opéra, avec des restaus et des troquets chics, se paupérisent progressivement sans cette fonction. Ils deviennent progressivement un lieu de rendez vous pour couples illégitimes, voir plus  (maison de passe, salon e massage, "vendeuse de mouchoirs", accueillant un commerce qui avait cours deux siècles auparavant dans les galeries du jardin du Palais Royal, à quelques rues de là..) ), et qu'il finissent même par devenir un repère de beatniks sans le sou de l'époque d'après guerre, les Surréalistes, dont Aragon.



 
Le coup de grâce vient de l'ouverture du boulevard Haussmann entre la rue Taidbout et le boulevard des Italiens, et la démolition de l'Ilot qui a la mauvaise idée d'en être juste placé au croisement, par un décret en 1922.





1925, démolition (le bâtiment derrière la pub TSF Phillips), fin de l'histoire, qui aura duré une centaine d'années....



 

Voilà voilà. Ca c'est l'histoire....Elle est résumée dans les petits plans chronologiques ci-dessous.




Ce qui est rigolo, maintenant, c'est d'aller voir les permanences et les strates visibles sur place, et, sous une uniformité de façade apparente, et ce que cela nous raconte.

Pour ce, comme j'habite à la montagne, je prends Gogol Eurf afin de me balader dans le quartier depuis mon ordinateur.





1ere étape de la balade, le Square Louvrois, square laissé à la place de la salle Monsantier, l'Opéra initial, en mémoire du Duc de Berry assassiné....







2ème arrêt, le croisement de la rue Chauchat et du boulevard Haussman. Nous sommes littéralement sur l'ancien passage de l'Opéra. J'ai du mal à imaginer, devant ces belles façades lisses et respectables, qu'au dessus de ma tête se trouvait une maison close. Fort logiquement, et malgré le vocabulaire néo classique 19 ème des deux immeubles devant moi (bossages, corniches et tout le tralàla) datent d'après 1925.




Je remonte la rue Chauchat et me tourne vers la rue Rossini (j'ai pris un peu de recul). A gauche, l'immeuble construit sur l'emplacement de l'Opéra Pelletier démoli et relotit vraisemblablement construit entre 1873 et 1924, et la partie droite, plus ancienne, comme en témoigne la différence de partition et de matériaux





Au début de la Rue Chauchat, la jonction entre l'immeuble 1925 à gauche et celui plus vieux à droite (la rue Chauchat, jusqu'en 1925 était en impasse ici, comme vous pouvez le vérifier sur le plan plus haut..)



Voilà voilà....comme je vous le disais, il n'y a qu'une poignée d'allumés pour gratter ce genre de sujet... Mais c'est toujours drôle de remonter le temps et de deviner des existences insoupconnées sous le bitume ou à la jonction de deux pierres...



Pour cet article, je tiens à préciser mes sources ..wiki, évidemment, pour tous les détails sur les ducs de monchose et compagnie, bien sûr. Je tiens à signaler le stupéfiant site Vergue.com, animé par Laurent Gloagen, avec ses notices et plans très clairs , et surtout les magnifiques photos de (entre autre) Charles Marville, qui fut mandaté par l'administration sous Haussmann afin de photographier toutes les rues qui allaient disparaître....http://vergue.com/

Enfin, bien sûr, je vous invite à lire « le Passage de l’Opéra », extrait du livre « Le Paysan de Paris » de Louis Aragon.

Enfin, mon fiel quant à l’urbanisme moderne, distillé plus haut, s’étaie entre autres sur un article du magazine Criticat n°3, « l’urbanisme Tuppeware », de Raphaêl Labrunye.

J'ajoute enfin après coup ce clin d'oeil amusant du livre d'Eric Orsenna et Nicolas Gilsoul, "Désir de Villes" paru récemment, qui nous rapelle qu'au XIX ème siècle la mode était de promener sa tortue dans les passages couverts...



C’était le quart d’heure intello de ce blog, dès 2017, je recommence à raconter n’importe quoi comme je sais bien le faire d'habitude….

Un peu d'archéologie urbaine? c'est par là... 
 

 

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